Pour mes amies françaises
La guerre contre la sagesse et la puissance
de l’ancienne culture matriarcale d’Egypte
Quand je regarde l’histoire, je suis pessimiste,
mais quand je regarde la préhistoire, je suis optimiste.
(J. C. Smuts)
PROLOGUE
Quelle ne fut pas l’inquiétude des chercheurs et historiens spécialistes de l’Antiquité lorsque les femmes commencèrent, dans les années 1970, à rechercher leur propre histoire, usant d’une grande méticulosité scientifique et d’un zèle tout féminin pour explorer la période antérieure aux civilisations avancées. Pourquoi inquiets ? Le sujet est hautement politique, le résultat de leurs recherches permettant d’établir l’existence d’une autre forme de vivre-ensemble, d’une ère où hommes et femmes vivaient sans guerres ni violence, sans maîtres, sans oppression et sans exploitation : l’ère du matriarcat. Cette période n’avait jusque-là fait l’objet que de très peu de recherches et encore moins de publications.
Les femmes ont bel et bien eu un jour du pouvoir, pouvoir qu’elles ont mis en œuvre avec tant d’intelligence et de responsabilité qu’il a été possible de vivre en paix durant des millénaires. Il n’y a pas eu de règne des femmes, celles-ci vivaient en égales avec les hommes et les autres peuples. Les décisions étaient prises de manière démocratique et consensuelle, les hommes ayant ensuite la charge de les exporter. Les femmes ne sont peut-être pas les « meilleurs êtres » qui soient mais elles sont manifestement les plus intelligents : « C’est la sagesse des femmes qui a permis de poser des limites au masculin » (Weiler 1995, p. 260). Les mères civilisaient leurs fils afin qu’il soit possible de vivre avec eux.
La communication et la coopération, la sociabilité et la considération, autant de qualités autrefois propres aux deux sexes, sans quoi les milliers d’années de paix n’auraient pas été possibles, ne sont pas des atouts de l’homme patriarcal. Lui est un homme assoiffé d’un pouvoir dont il se veut le seul détenteur et dont il se sert pour asservir ses sujets, et en premier lieu les femmes et les enfants.
Les femmes ont la capacité d’évaluer les conséquences de leurs actes et de vivre en groupe sans s’entretuer. Elles n’ont généré aucunes catastrophes et n’ont jamais cru que les conflits devaient se résoudre par le sacrifice de leurs fils et le recours aux armes.
Une vérité impossible à concevoir pour les historiens, aberrante, absurde, incroyable. Ainsi donc le monde aurait un jour fonctionné autrement que ce qu’ils avaient imaginé et façonné ? Un monde où les femmes détenaient « le pouvoir » ? De telles idées devaient immédiatement être combattues, démenties, tournées en ridicule et scientifiquement discréditées.
L’écrivain Joachim-Ernst Berendt souligne d’ailleurs avec ironie qu’« une majorité de gens, surtout parmi les universitaires, se dresse contre les nouvelles découvertes. Mais notre savoir grandit comme une avalanche. Les universitaires ressentent leur infériorité depuis longtemps déjà. C’est ce qui explique leur agressivité et leur susceptibilité ainsi que leur incapacité à dialoguer avec ceux qui pensent différemment, préférant immédiatement les discriminer : telle théorie ou telle autre ne serait pas « scientifique », telle personne ou telle autre n’y entendrait rien. À cet égard, le mythe tend à se vérifier : Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance » (Berendt 1985, p. 275).
La chercheuse Merlin Stone lance également un appel aux femmes en ce sens : Nous devons écarter l’aura de mystère qui entoure l’étude de l’archéologie et des religions anciennes et commencer à explorer le passé pour notre propre compte au lieu de rester dépendantes des intérêts, interprétations, traductions, opinions et déclarations que l’on nous a présentés jusqu’à maintenant. (Stone 1988, p. 23)
Ce qui définit véritablement la culture est un héritage de l’ère matriarcale : la paix, bien le plus précieux de l’humanité, l’égalité évidente entre tous les êtres et entre les deux sexes, la liberté et la prospérité. La démocratie, l’artisanat, l’agriculture, la conservation des denrées, l’artisanat spécialisé, les relations commerciales étendues, une administration fonctionnelle, tout cela caractérisait l’époque prépatriarcale. La créativité était encouragée, l’expression artistique occupait une place centrale. Il existait bien entendu aussi une croyance religieuse, on vénérait une Grande Déesse et l’on croyait en une renaissance.
Les contributions des femmes, tout ce qu’elles ont accompli depuis le néolithique n’a pas été repris dans l’écriture de l’Histoire. Les historiens l’ont soit occulté, soit attribué à la « civilisation avancée ». Le chapitre 1 traite donc de cela : « Une écriture patriarcale de l’Histoire : ce que les historiens ont choisi de taire. »
Le chapitre 2 se consacre quant à lui aux caractéristiques des cultures néolithiques d’Asie mineure et de l’Ancienne Europe mises à jour par l’archéologie : « Les cultures matriarcales de l’Ancien Monde ».
Le fait que l’Egypte ait connu, et ce bien avant les pharaons, une grande culture complètement négligée et sous-estimée par l’égyptologie constitue le cœur du chapitre 3 : « Qu’y avait-il avant les Pharaons ? »
Le chapitre 4 traite de la conquête de l’Egypte et de la catastrophe épouvantable engendrée par ces envahisseurs : « La tragédie dissimulée d’une invasion venue d’Asie mineure ».
Comment les envahisseurs armés ont détruit les cultures néolithiques pacifiques d’Asie mineure et comment ils ont assis l’hégémonie du patriarcat sur le matriarcat est expliqué dans le chapitre 5 : « La destruction des cultures matriarcales et la guerre contre les peuples indigènes ».
Le chapitre 6 raconte les conditions de vie épouvantables et l’horreur vécues par les Egyptien/nes sous le règne brutal des envahisseurs : « Pharaons : le règne de la terreur ».
Le chapitre 7 nous apprend comment toute opposition au pouvoir patriarcal violent devait être éliminée : « La guerre contre le pouvoir et la sagesse de la culture matriarcale ».
Les souffrances endurées particulièrement par les femmes depuis le début de l’ère patriarcale font l’objet du chapitre 8 : « Les conséquences du patriarcat pour les femmes ».
Le chapitre 9 traite de la tentative d’éliminer la religion de la Déesse : « La guerre contre la religion de la Grande Déesse ».
Enfin, le chapitre 10 illustre comment les mythes patriarcaux et l’invention de dieux masculins ont été utilisés afin d’annihiler la précédente religion : « Le rôle des mythes religieux dans la prise de pouvoir patriarcale ».
Lorsque je visitais l’Egypte pour la première fois, en 1989, j’ignorais tout de sa culture et de son histoire et ne devinais pas que ce simple séjour touristique allait ouvrir la voie à un fascinant travail de recherche. Je me plongeais dans des ouvrages richement illustrés sur l’Egypte avec pour intention de m’approprier quelques connaissances de base lorsque je tombai sur cette phrase étonnante d’une égyptologue renommée : « La civilisation avancée d’Egypte a éclos de la Préhistoire comme un poussin éclot de son œuf, avec la même vigueur ». (Emma Brunner-Traut, 1987, p. 10).
Cette remarque suffit à éveiller ma curiosité pour ce mystérieux passage de la préhistoire à l’Egypte Antique. Quelques mois plus tard, je me trouvais au Louvre devant le témoin le plus important de cette époque énigmatique : la somptueuse stèle attribuée au Roi Serpent. J’avais entre-temps lu l’œuvre magistrale de Merlin Stone Quand Dieu était femme qui m’avait donné une toute nouvelle perspective. J’étais devenue capable d’aborder la religion et l’écriture de l’histoire d’un œil critique et de penser par moi-même. Je me tenais donc devant la stèle de ce « Roi Serpent » lorsque j’eus soudain comme un éclair de conscience. Cette image d’un serpent représenté dans un palais au-dessus duquel trône le faucon du dieu Horus m’agaçait au plus haut point. J’avais appris que dans la mythologie, le serpent représentait toujours une divinité féminine, cette stèle devait donc bien être celle d’une Reine et non d’un « Roi Serpent » ! Merlin Stone parle dans son œuvre des erreurs et tribulations des archéologues et égyptologues quant à l’attribution erronée de deux des plus grands tombeaux jamais découverts en Egypte, ces-derniers ayant d’abord été tout naturellement attribués à des rois avant qu’il ne faille reconnaître, bien plus tard, qu’il s’agissait en fait de tombeaux de reines. Le doute s’installa en moi et mes recherches allaient bientôt me prouver que ce sentiment était entièrement fondé (chapitre 7).
À partir de là, il ne fut plus possible de m’arrêter. Je me plongeais dans les recherches. Ma consternation et mon indignation ne faisaient que s’accroître à mesure que je parcourais des centaines de livres et d’articles. Je prenais peu à peu conscience de l’ampleur de la supercherie et du degré de manipulation dont historiens et théologiens patriarcaux ont usé pour duper les hommes.
Voici donc le résultat de vingt années de recherches intensives. J’ai pleinement conscience que la base de ce travail est un point de vue personnel, c’est à dire une vision féminine subjective, mais je le perçois comme un complément, ou plutôt une correction apportée à la version masculine des scientifiques. Si le savoir auquel je me suis référé est accessible à tous, j’en ai tiré des conclusions bien différentes. Les pharaons, leurs guerres et leurs conquêtes ne m’ont pas passionné, pas plus que leurs royaumes ou leurs édifices colossaux. Des milliers de livres ont déjà été écrits sur le sujet. Je me suis plutôt intéressée aux zones d’ombre, à ce qui a été tu, inexpliqué, ignoré, imperceptiblement disséminé ici et là, une phrase au milieu de centaines d’autres. J’ai recherché ce qui à première vue semble insignifiant, secondaire, dissimulé.
Mon travail de recherche a fait ressortir une image de l’Egypte bien différente de celle que l’on trouve dans les livres d’histoire et qui équivaut, peu ou prou, à ce que les touristes voient depuis leurs bus climatisés et leurs hôtels de luxe : un pays aux paysages de carte postale, à la pauvreté « pittoresque », un « monde idéal », un décor de carton-pâte. Les monuments spectaculaires des souverains ne sont rien d’autres que la preuve éclatante de leur propagande religieuse et politique.
On ne parle jamais des vies et des souffrances de ceux qui n’appartenaient pas à la caste dynastique, de leur détresse et leur pauvreté, de l’arbitraire de la police et des autorités, de la tyrannie et de l’oppression. Je souhaite avec ce livre témoigner de cet autre aspect. Je sais pertinemment que ce travail ne saurait être autre chose qu’une impression momentanée et qu’il reste loin d’être achevé. J’abonde ainsi entièrement dans le sens de l’égyptologue Donald B. Redford :
Lorsque je commence un cours sur l’Egypte, je préviens toujours mes étudiants qu’avant la fin du semestre, quelqu’un aura fait une nouvelle découverte qui changera notre vision du monde.
CHAPITRE 1
Une écriture patriarcale de l’Histoire :
ce que les historiens ont choisi de taire
L’histoire de l’humanité ne débute pas avec les ›Grandes Civilisations‹
C’est assez frappant : la plupart des historiens fixe les débuts de l’humanité à l’Antiquité et aux civilisations grecques et romaines, prétendues « berceau de la culture occidentale ». L’étude des 3000 ans précédents l’Antiquité, l’époque des dénommées civilisations avancées, dont ces civilisations plus jeunes sont pourtant issues, est laissée aux archéologues, aux spécialistes des civilisations orientales anciennes, aux sumérologues, égyptologues, iranologues et autres, qui, à leur tour, ne s’intéressent pas aux millénaires ayant précédé leurs domaines de spécialité. À leurs yeux, la préhistoire ne semble pas avoir existé, ne les intéresse pas ou n’a d’après eux pas eu d’influence notable sur les périodes ultérieures et donc, sur le monde d’aujourd’hui. S’ils ne la mentionnent pas, c’est parce qu’elle leur apparaît comme sous-développée, chaotique et primitive. Les dénommées civilisations avancées auraient apporté l’ordre, la civilisation et le progrès et seraient donc les seules dignes d’intérêt. Mais comment pourrions-nous comprendre le monde si nous ignorons nos origines, notre ascendance et le début de la civilisation ? Comment les Egyptiens sont-ils devenus les Egyptiens et les Grecs devenus les Grecs tels que nous les connaissons ? Les historiens décrivent l’époque historique, l’ère du patriarcat qui s’est fermement ancré au cours des 5000 dernières années, le temps des guerres, des rois, des héros et des dieux masculins. Les femmes n’apparaissent nulle part. On attribue à Périclès, homme d’Etat de l’Antiquité grecque du 5ème siècle, les mots suivants :
»La meilleure femme est celle dont les hommes parlent le moins.
L’élimination des femmes de l’écriture de l’Histoire.«
L’apôtre Paul enjoignait les femmes à se taire dans les assemblées. Les historiens semblent l’avoir pris au mot et éliminés purement et simplement les femmes de l’histoire écrite. Les historiennes n’ont eu de cesse de signaler cette absence du genre féminin des livres d’histoire.
Hilde Schmölzer écrit ainsi dans son livre Die verlorene Geschichte der Frau – 100.000 Jahre unterschlagene Vergangenheit (L’histoire perdue de la femme – 100 000 ans d’histoire détournés) : « Le fait que le riche héritage culturel matriarcal ait complètement disparu de notre conscience historique pour n’apparaître que de manière rudimentaire dans certains contes et légendes, et ce alors même qu’il a imprégné la vision du monde des hommes durant des millénaires, est avant tout la preuve d’une chose : il a été consciemment et radicalement éliminé de l’écriture masculine et patriarcale de l’histoire parce qu’il constituait une menace pour l’hégémonie masculine. Voilà pourquoi on a depuis toujours fixé les débuts de l’humanité à l’invention de l’écriture alors que de nombreuses découvertes archéologiques ont depuis lors apporté la preuve que l’histoire des hommes n’a pas débuté avec l’écriture. » (Schmölzer 1990, p. 37 Die verlorene Geschichte der Frau – 100.000 Jahre unterschlagene Vergangenheit [non traduit en français])
La chercheuse Gerda Weiler est également parvenue à la même conclusion : « Contrairement à ce que prétendent les historiens, l’historiographie ne nous offre pas une image de la réalité. Les historiens sont des êtres humains dotés eux aussi de leur propre conception du monde. Ils sélectionnent les traditions, taisent certains faits, en idéalisent d’autres ou les traînent dans la boue. Certains livres d’histoire peuvent donner l’impression que la planète n’a toujours été peuplée que par des hommes dont l’unique but dans la vie est de faire la guerre. Des hommes qui se reproduisent mystérieusement et dont les fils n’ont à leur tour qu’une idée en tête : le pouvoir, la guerre et les conquêtes. Les femmes n’apparaissent pas dans ces livres, on peut donc dire qu’ils ne représentent qu’une petite moitié de la réalité. On peut dès lors légitimement se demander ce qui différencie l’historiographie des mythes. » (Das Matriarchat im Alten Israel 1989, p. 105 (Le matriarcat en Israël antique), [non traduit en français])
Elizabeth Gould Davis écrit dans son livre The First Sex : « Le zèle avec lequel historiens et encyclopédistes masculins se sont appliqués à détruire jusqu’au souvenir des grandes femmes a rendu la poursuite de recherches sur l’histoire des femmes extrêmement difficile. Leurs noms ont été si bien effacés des livres d’histoire qu’elles semblent n’avoir jamais existé. » (Gould Davis, The First Sex (Le Sexe premier) 1987, p. 276[non traduit en français])
L’historienne française Michelle Perrot fait le constat suivant : « Depuis que l’histoire est une discipline « scientifique », c’est à dire depuis le 19ème siècle environ, la place que les femmes y ont occupé a été très variable. Celle-ci a toujours dépendu des représentations des hommes qui, jusqu’à hier encore, constituaient à peu de chose près les seuls historiens. Au cours de la deuxième moitié du 19ème siècle, le thème du matriarcat était au cœur des débats anthropologiques en Europe. Engels débattait des thèses soutenues par Bachofen dans Le droit maternel et, s’appuyant sur les travaux de Lewis H. Morgan, écrivait L’origine de la famille, dans lequel il subordonne la libération des femmes au bouleversement des rapports de propriété. » (Perrot, Une histoire des femmes est-elle possible ? 1989, p. 16, [traduction libre])
Dans Le Calice et l’ Epée, la chercheuse Riane Eisler cite l’historien et philosophe américain Henry Adams : « Une historiographie sans compréhension de cet élément variable qu’est le genre serait de la « pure pédanterie ». Il reprochait à l’historiographie américaine de ne pas même mentionner « le nom d’une seule femme » et à la britannique de traiter les femmes « de manière si craintive qu’on croirait qu’ils ont découvert une nouvelle espèce encore inconnue. » (The Education of Henry Adams‹, cité par Eisler, 1987, p. 239)
Les recherches de Carola Meier-Seethaler révèlent également une image de la préhistoire et de la protohistoire bien différente de celle construite par les historiens des 19ème et 20ème siècles. Elle parvient à la conclusion suivante : « Dès que l’on inclut les périodes préhistoriques dans l’équation, le patriarcat ne peut plus constituer la seule et unique origine de la société humaine. Les preuves de l’existence d’une tradition culturelle matriarcale vieille de plusieurs millénaires, allant de l’âge de glace aux premières civilisations avancées, abondent et démontrent qu’il y a bien eu, à l’origine de notre culture, un bouleversement de grande ampleur. » (Meier-Seethaler, Ursprünge und Befreiungen – Eine dissidente Kulturtheorie, 1988, p. 21 (Origines et libérations – une théorie dissidente de la culture) [non traduit en français])
En 1976, l’historienne de l’art Merlin Stone établissait un lien rigoureux entre l’historiographie et l’histoire de la religion dans Quand Dieu était femme : « Face aux difficultés que je rencontrais pour rassembler ma documentation, je ne pouvais m’empêcher de songer aux manuscrits et aux statuts anciennes intentionnellement détruites. L’hostilité manifeste des religions judaïque, chrétienne et islamique envers les objets sacrés des religions qui les ont précédées (…) ne laisse aucun doute sur le sort qu’ils subirent. » (Stone, 1988, p12)
Mais la contribution la plus importante pour l’histoire de la femme nous vient de l’archéologue Marija Gimbutas et de ses recherches interdisciplinaires. Ses œuvres Le langage de la Déesse (1995) et La civilisation de la Déesse (1996) attestent de l’existence de cultures matriarcales et d’une religion de la Déesse dans les régions d’Europe Antique et du Proche-Orient.
Souvenez-vous de toutes les lois par lesquelles nos ancêtres
ont entravé la liberté des femmes et les ont soumises au pouvoir des hommes.
Car sitôt elles deviendront nos égales, elles nous seront supérieures.
(Caton l’Ancien, Censeur romain, 234-149)
La peur du patriarcat
Avec les recherches sur le matriarcat, les historiens et spécialistes de la religion virent leurs « vérités » brusquement remises en question. Le fait surtout que la violence masculine, véritable tabou dans les sciences et religions patriarcales, soit rendue publique, permit de révéler au grand jour le véritable visage du patriarcat comme celui d’un système dominant extrêmement hostile. Que les femmes osent non seulement révéler cette violence masculine mais aussi la dénoncer constitue une rupture de premier ordre. Cette nouvelle donne vient menacer l’assurance masculine et le système dominant. Pour les croyants, les fidèles des dieux masculins et des religions patriarcales, elle constitue une immense blessure narcissique. L’idée que nous ayons ainsi été dupés, touchés à ce point si sensible de notre âme qu’est la spiritualité, doit immédiatement être rejetée et démentie. La recherche sur le matriarcat a touché le nerf religieux : nous avons été trompés. On nous a menti à grands renforts de mythes que nous avons profondément intériorisés, mais l’heure est venue d’admettre que non, la religion et la création n’ont pas toujours été masculines. La fonction de guide intellectuel et spirituel n’a pas toujours été aux mains de l’homme, du prêtre, du patriarche et du père. Elle a aussi été occupée par les mères, les prêtresses et les matriarches. Ce sont elles qui ont créé une culture véritable que les hommes et leurs guerres incessantes se sont ensuite employés à détruire.
Joan Marler, directrice de l’Institut d’archéomythologie de Californie, commente les réactions : « Le rejet et la négation systématiques de toute contribution féminine au développement culturel ont non seulement annihilé le potentiel d’innombrables individus, mais ont également privé le monde de la vision et de l’originalité féminine. Alors qu’elles étaient le centre créateur des premières sociétés humaines, les femmes ont été mises à l’écart et se sont vues enseigner que leurs facultés n’avaient aucune valeur dans la sphère publique. » (Joan Marler dans Collectif d’auteures, Die Diskriminierung der Matriarchatsforschung – Eine moderne Hexenjagd, 2003 (La discrimination de la recherche sur le matriarcat – une chasse aux sorcières moderne) [non traduit en français]).
Compte tenu de la blessure narcissique engendrée par les découvertes prouvant l’existence d’un matriarcat ancestral, il n’est point étonnant que l’historiographie traditionnelle s’y oppose encore aujourd’hui avec véhémence. Carola Meier-Seethaler a analysé cette opposition farouche (1988, p.19) :
Tous les scientifiques ou presque étaient et restent si profondément ancrés dans le système de pensée patriarcal que la simple évocation d’une culture dominée, ou tout du moins inspirée par les femmes provoque chez eux une réaction défensive.
« La répression de l’information caractérise la dynamique de toute société dominante », explique Riane Eisler. « L’archéologie, discipline scientifique à laquelle nous devons la majeure partie de nos découvertes, en est l’exemple parfait. L’un des cas les plus marquants reste celui des fouilles du site néolithique d’Haçilar (Turquie). Alors que les couches les plus anciennes n’avaient pas encore été atteintes, James Mellaart s’est vu interdire la poursuite de ses explorations au motif que « continuer à creuser à cet endroit ne ferait que donner des résultats répétitifs sans grande valeur scientifique. » (Mellaart 1970 cité par Eisler 1989, p. 146)
Comme le devine très justement Riane Eisler, les commanditaires de ces fouilles étaient en réalité inquiets car ils pressentaient depuis longtemps déjà que la fouille des couches les plus profondes mettrait à jour des attributs féminins prouvant l’existence d’un culte d’une Grande Déesse. Mellaart protesta contre cette décision et la qualifia « d’un des chapitres les plus tragiques de l’archéologie ».
Heide Göttner-Abendroth, l’une des pionnières germanophones des recherches sur le matriarcat, en est convaincue : « Malgré toutes les intimidations, il n’est pas possible de revenir sur les découvertes permises par la recherche sur le matriarcat. Elles nous ont ouvert les portes sur une société équilibrée, égalitaire et profondément pacifique capable de subsister sans domination ni guerres de conquêtes impitoyables. Je suis pour cette raison convaincue qu’une telle société peut être utilisée dans la lutte pour un monde plus humain. » (dans Collectif d’auteures, p. 65)
Nous sourions aujourd’hui en pensant à ce que les messieurs de la « Royal Geographical Society » considéraient à la fin du 19ème siècle comme « la plus grande des abominations » : les expéditions d’exploration féminines.
Les femmes refusent désormais de se voir interdire l’exploration scientifique de « continents » jusqu’alors évités ou du moins réservés exclusivement aux hommes. La préhistoire fait partie de ces domaines qui font tant frémir certains scientifiques grisonnants.
Le philosophe de la culture Otfried Eberz appelait à la compréhension face à la réaction enflammée du monde académique aux thèses de Bachofen – « une préhistoire déterminée par la femme et sur laquelle repose le plus grand tabou du patriarcat » :
Il nous faut tenter de comprendre la position des historiens et philologues. Leur rôle est finalement d’être les gardiens des traditions masculines patriarcales des Grecs et des Romains, tout comme les rabbins et les théologiens chrétiens sont les gardiens de la tradition patriarcale des Juifs.
Eberz ajoute : « Le fait que les récits sur la préhistoire mystique par les Juifs et les Grecs aient été falsifiés et masculinisés de manière tendancieuse ne doit pas se savoir, et quiconque osant remettre en question le dogme fondateur doit être considéré comme un hérétique et discrédité. » (Eberz, cité par Christa Mulack dans ›Collectif d’auteures‹, p. 62)
Il nous faut bien sûr aussi nous montrer compréhensifs envers les égyptologues patriarcaux et en premier lieu envers les théologiens. Les femmes qui révèlent les méfaits du patriarcat sont accusées d’être « hostiles aux hommes ». Critiquer le patriarcat relève du sacrilège pur et simple.
Les hommes et les femmes rejetant le patriarcat sont tenus de croire aux mythes mensongers qu’il véhicule, ils ne peuvent pas divulguer la vérité, ils sont priés de se taire. On les oblige à passer sous silence toutes les calomnies, les dévalorisations, les monstruosités et les crimes infligés à l’humanité par le système patriarcal.
Non, 5000 ans de patriarcat sont plus qu’assez. Nous ne couvrirons pas plus longtemps ces mensonges, nous cesserons de les colporter et de les embellir. Nous ne sommes plus les gardiennes du patriarcat et de ses secrets criminels. La recherche sur le matriarcat constitue aux yeux du patriarcat une violation de ses droits et de ses lois. Lorsqu’une femme ose remettre en question et critiquer les hommes patriarcaux et leurs idéologies misogynes, leurs religions hostiles aux femmes, leur prétendue ressemblance à Dieu ou leurs œuvres, elle passe tout simplement pour une « haïsseuse d’hommes ».
Mais lorsqu’un homme se met en colère contre les femmes et appelle publiquement au meurtre (comme Moïse), lorsqu’il les discrimine, les humilie, les dévalorise ou les injurie, alors il est l’un des prophètes respectés de l’Ancien Testament ou un Saint chrétien (comme Paul, Augustin, Thomas d’Aquin), ou l’un des trois Dieux des religions monothéistes patriarcales, ou un philosophe grec (comme Aristote), un dirigeant de la Grèce Antique (comme Périclès), une autorité scientifique (comme certains égyptologues et archéologues), ou un grand dignitaire religieux (comme certaines grandes figures du clergé et de l’Inquisition)ou last, but not least, un simple citoyen lambda.
La discrimination systématique des femmes permet au patriarcat d’empêcher par tous les moyens (en ridiculisant, menaçant, humiliant, etc.) toute remise en question de la position dominante de l’homme.
L’idéalisation du passé patriarcal
Bien que quelques historiens se soient efforcés de rendre compte de manière impartiale de tous les aspects de l’histoire, l’historiographie se compose en majeure partie d’hagiographies très orientées. Des portraits irresponsables, dénués de tout sens critique et pour le moins euphémiques. Le souhait des historiens de préserver les mythes dogmatiques et patriarcaux se ressent bien trop souvent. Glorifier le passé, justifier la folie des guerres de conquête par la volonté divine, banaliser les pires méfaits. L’expansionnisme agressif, le narcissisme sans bornes, la mégalomanie, le sadisme, la soif de pouvoir, l’avidité, la brutalité, le désir de gloire, la corruption, l’absence totale de conscience et la propagande sont la plupart du temps occultés par les historiens ou du moins enjolivés.
Dans une guerre, il n’y a pas de héros, il n’y a que des idiots.
(David Rubinger, photographe de guerre israélien)
L’historiographie patriarcale nourrit une fascination pour la violence et la guerre, elle raffole des « grands conquérants », des « vainqueurs », des « dirigeants » et des « héros ». Les souffrances engendrées par les guerres, les régimes de la terreur et les dictatures sanglantes sont trop souvent acceptées avec une passivité et une absence d’empathie telles qu’on ne peut s’empêcher de penser que les scientifiques travaillent à la solde des oppresseurs et qu’ils couvrent leurs crimes.
Cette vision patriarcale de l’histoire en arrive à ignorer l’inhumanité pathologique des puissants et à prétendre que la domination par la violence est légitime : les historiens et les autorités religieuses fondent cette légitimité sur un Dieu patriarcal qu’ils ont eux-mêmes créé et qui aurait ordonné aux hommes de soumettre « le monde », c’est à dire tout ce qui n’est pas homme et blanc, soit les femmes, les enfants, les faibles, les gens d’une autre couleur de peau, les animaux et la nature, à leur volonté. Et bien entendu, ils font remonter l’existence de ce Dieu à l’aube de tous les temps, il a toujours existé. On voue une admiration aux tyrans qui se prennent pour les représentants d’une force supérieure, voire de Dieu lui-même. Aujourd’hui encore, les hommes puissants justifient leurs abus de pouvoir et leurs guerres par la volonté de leur Dieu. Une justification somme toute très confortable à leurs crimes et leurs méfaits.
L’historiographie des peuples a fait de l’histoire de l’humanité celle des vainqueurs et des conquérants. Les vies et les destins des opprimés ne nous sont pas rapportés. Ils sont les oubliés de l’histoire. Même l’histoire de ceux devenus victimes de leur propre agression, ou celle de tous les royaumes prospères qui n’ont pas été ruiné au profit d’un quelconque tyran ne font l’objet d’aucuns travaux. (Vera van Aaken, Männliche Gewalt – ihre Wurzeln und ihre Auswirkungen, (La violence masculine, ses origines et ses conséquences,) [non traduit en français] 2000,
p. 162)
Le mythe de la civilisation « avancée »
Le passage du matriarcat au patriarcat, de la période pacifique du néolithique à celle de la dénommée civilisation « avancée », une expression des sciences de l’histoire, n’a jamais été une transition pacifique, pas même en Egypte. On entend par « civilisation avancée » une organisation de la société prétendument plus progressiste, meilleure ou en tous cas « supérieure » à celle l’ayant précédée. Elle aurait apporté des avancées culturelles, l’invention de l’écriture par exemple, qui la distinguent nettement des « peuples » ou de la « culture populaire » de la préhistoire. Mais cette désignation est trompeuse.
L’écriture n’a pas créé une civilisation, déclarait James Mellaart. L’écriture est fonctionnelle, mais elle n’a jamais constitué une nécessité ni n’a jamais été décisive pour la culture ou le développement civilisationnel des peuples (Mellaart 1975, p. 271). Les sociétés matriarcales hautement développées ont vécu heureuses pendant des millénaires sans l’écriture. En revanche, elles accordaient une grande importance à la symbolique. L’écriture est née des symboles hérités de l’ère matriarcale.
À l’origine des dénommées civilisations avancées, des peuples entiers ont été décimés, des pays dévastés, la vie démocratique remplacée par la monarchie despotique. Lorsqu’on analyse les caractéristiques de ces cultures « supérieures », on s’aperçoit que les avancées culturelles dues à l’ère du matriarcat leurs sont toutes attribuées, sans exception. S’il y a bien une nouveauté apportée par la civilisation avancée, elle est catastrophique. Il s’agit de la fabrication d’armes, du recours à la violence et à la guerre et de leur institutionnalisation en tant que domaine militaire. Plutôt que de culture « avancée », il faudrait parler de culture de la guerre, si tant est que l’on puisse encore parler de « culture ».
« Comment se fait-il », se demande l’historien et sociologue américain Lewis Mumford, « que la guerre soit ainsi devenue une composante à part entière de la « civilisation » et qu’on en soit arrivé à la considérer comme l’expression suprême du « pouvoir souverain » ? En tant qu’institution, elle a réduit à néant le zèle patient de la culture néolithique. » (1974, p. 249)
La glorification de l’histoire égyptienne
L’un des cas les plus frappants de l’idéalisation du patriarcat se retrouve malheureusement dans l’historiographie de l’Egypte, dépeinte par bon nombre d’historiens comme une période à la culture grandiose. Mais moins la science objective fait preuve de retenue dans son apologie des exploits pharaoniques, moins elle trouve à répondre aux crimes violents qu’ils ont perpétrés.
Bon nombre d’égyptologues ont été induits en erreur par la propagande des régimes violents des pharaons. Ce serait une erreur fatale de prendre pour argent comptant leurs envolées lyriques à la gloire des despotes.
Les représentations artificielles de ces souverains nous ont amené à les voir comme de grands esprits civilisés. Mais en réalité, ils savaient surtout exploiter le savoir-faire artisanal de leurs sujets afin de se faire représenter pour l’éternité sous leur meilleur jour. « Ce qui caractérise les castes dominantes des grandes époques héroïques, qui selon l’historien anglais H. Munro Chadwick, « sont par nature barbares », c’est une soif de renommée, une glorification des actes héroïques individuels et une exagération sans bornes de la force physique de ces « êtres presque divins » ». (Kramer 1959, p.153)
Le pharaon était considéré comme l’incarnation humaine d’une divinité, quand bien même l’un de ses titres était « le boucher » (Sethe, ZÄS 1911, p. 33). Il aurait été d’ascendance « surnaturelle ». Des génies aurait entouré le nouveau-né dès le berceau, et même sa couronne aurait abrité une vie supraterrestre, « même la barbe royale était une divinité à part entière ». (Brunner-Traut 1987, p. 17)
Il semblerait que ni les pharaons ni les égyptologues n’aient pu souffrir l’idée d’une origine banalement terrestre. L’égyptologue Wilfied Seipel décrivait le pharaon comme « un être double, mi-homme, mi-dieu », un peu comme Jésus. Son collègue Pierre Montet disait qu’un « être aussi exceptionnel que le pharaon ne pouvait pas être venu au monde comme tous les autres enfants. Ainsi est née la doctrine théologique finement élaborée de la naissance divine du Roi » (Montet 1975, p.66). Cette idée a été reprise par les théologiens chrétiens dans la légende de la naissance virginale de Jésus. Brunner-Traut surenchérit un peu plus encore : « Ainsi le veut le dogme royal, ainsi les mythes et légendes décrivent cet être de haute lignée, ainsi les hymnes chantent la gloire du Roi. » (1987, p.17) Dans Bonhême/Forgeau, on peut lire : « La seule démarche du Roi répand des vagues d’énergie divine, si bien que l’hymne chanté à son approche semble vouloir avertir le monde : « Prend garde, Terre, le Roi arrive. » (1991, p. 281, traduction libre) Quant à l’auteur des mots suivants, il semble lui aussi avoir été sévèrement touché par « l’énergie rayonnante » : « Après l’ouverture grandiose des premiers temps de l’Ancien Empire retentit la musique : d’abord poignante, passionnément frénétique, elle est bientôt empreinte d’une gravité solennelle puis elle explose d’une joie de vivre sans bornes avant de peu à peu diminuer, une fois l’œuvre divine achevée. Cette musique est celle de la plus grande période de l’histoire égyptienne que nous avons nommée, en hommage aux tombeaux de ses rois, le « temps des pyramides ». (H. Ranke, postface de Breasted 1954, p. 355) L’historien de l’art Henri Stierlin s’extasie lui aussi : l’Ancien Empire « incarne quelque chose comme la jeunesse de la culture égyptienne : une phase d’exubérance et d’enthousiasme, où les forces encore neuves bouillonnent de vitalité et où toujours plus d’idées grandioses sont inventées pour réaliser, avec l’ensemble de la population de la vallée du Nil, des œuvres aussi parfaites que colossales » (1988, p. 29).
Pierre Montet affirme que l’on connaîtrait de nombreux cas où le Roi se serait comporté avec ses sujets comme l’un des leurs, faisant preuve de raison et de sensibilité. Cela aurait été le cas la fois où le « Roi, pour épargner un prêtre, décida d’abolir la loi punissant de mort quiconque touchant des insignes royaux », ou lorsqu’un « vieux courtisan fut autorisé à embrasser les pieds du souverain alors que le cérémonial exigeait de lui qu’il effleurasse des lèvres le sol devant le Roi » (Montet 1975, p. 114, traduction libre).
L’égyptologue Adolf Erman n’envisage pas la réalité tout à fait sous le même angle. Il explique en effet « que des conditions étatiques troubles en Egypte Ancienne ont toujours existé. Les inscriptions retrouvées veulent nous donner l’image d’un « véritable royaume idéal » sur lequel régnait en « bon père » un souverain « divin » aimé et loué par ses sujets. Mais l’image est trompeuse, car ces belles paroles dissimulaient en réalité de graves agissements » (Erman 1984, p. 57). Un tel recul critique reste cependant très rare.
T. G. H James affirme que les égyptologues considèrent toujours avec prudence et circonspection les fanfaronnades et éloges enflammées des épitaphes royales, mais il parvient néanmoins à la conclusion qu’il « faut tout de même leur accorder un certain crédit, sans quoi toute l’histoire égyptienne serait fondée sur un mensonge sophistiqué élaboré durant des siècles par des imposteurs » (James 1988, p. 23 f.). Les inclinaisons personnelles, politiques, religieuses, sociales, sexuelles et idéologiques des historiens agissent malheureusement comme des filtres et en disent plus long sur leur propre personne que sur l’objet de leurs recherches.
L’égyptologue Peter Kaplony déclara ainsi avec humour devant un auditoire à Zurich que la majeure partie de ce que racontent les historiens est de la pure spéculation. Les érudits tentent de masquer l’étendue de leur ignorance en faisant comme s’ils en savaient beaucoup plus. Leur autorité est parfois si grande qu’on les croit sur parole alors que tout ce qu’ils font, c’est spéculer ! Ceci vient confirmer ce que disait Cicéron : « L’autorité du professeur porte souvent préjudice à ceux qui désirent apprendre. » Lors de la conférence internationale d’égyptologie en 1997, on s’indignait de la perte de réputation de la discipline. Qui s’en étonne ?
Les théories édulcorées énoncées un beau jour sont reprises d’une génération à l’autre et deviennent ainsi, par leur répétition systématique, des « faits » incontestables. L’acceptation des frontières entre les disciplines et des personnes habilitées ou non à énoncer des définitions semble par ailleurs largement répandue au sein de la communauté scientifique. Il y a une sorte d’accord tacite qui veut que l’on ne peut pas revenir sur ce qui a été énoncé. Cet usage porte préjudice au progrès scientifique et favorise la consolidation des erreurs. À cela vient s’ajouter une certaine censure. Les marginaux qui découvrent la supercherie et mettent à jour les fondations pourries sur lesquelles reposent les édifices théoriques doivent s’attendre à être violemment attaqués, moqués et surtout scientifiquement discrédités. Bon nombre de scientifiques veulent uniquement assurer un contrôle sur la science.
La profusion d’arguments fallacieux ne laisse que peu de place au lecteur et à l’observateur pour qu’ils puissent se faire leur propre opinion. (W. Torbrügge)
Le tournant dans l’histoire de l’humanité : L’âge du métal
La fin du néolithique, et le début de l’âge de bronze, a amené un changement radical dans l’histoire du monde. Pas un changement positif cependant, puisque c’est à cette période qu’a débuté l’ère violente du patriarcat. Ce dernier a détruit la majeure partie de l’héritage culturel du matriarcat.
Des fouilles archéologiques effectuées dans le nord du plateau iranien et dans le Caucase ont permis d’établir que les premières extractions et transformations de métal y ont eu lieu (par ex. de cuivre et d’étain pour fabriquer du bronze). Au 5ème millénaire déjà, on fondait le minerai de cuivre pour en faire des lingots, des outils et des armes. Un premier groupe de ces forgerons créa une alliance funeste avec ses voisins des steppes russes, des indoeuropéens nomades éleveurs de bétail. Ces derniers avaient domestiqué le cheval, et c’est donc montés et armés qu’ils menèrent ensemble les premières attaques sur leurs voisins. Ils avancèrent progressivement et mirent un terme à l’ère pacifique des peuples cultivateurs, du Croissant fertile jusqu’en Egypte. Les premières représentations de massacres et de sacrifices d’humains et d’animaux datent de la deuxième moitié du 4éme millénaire. Des empreintes de sceaux retrouvés à Suse et à Uruk représentent des scènes de combat et des prisonniers (Roaf 1991, p. 194). Les premières victimes étaient les femmes !
Des femmes sont attaquées et tuées (Sceau-cylindre de Suse, fin du 4e millénaire, 1980, fig. 659)
Les guerres des hommes se retournent dès le départ contre les femmes :
le viol et l’asservissement des femmes des tribus envahies font partie des droit patriarcaux de l’envahisseur.
(Gerda Weiler)
On sait aujourd’hui que 80 pour cent des victimes de guerre sont des femmes et des enfants. Différents scientifiques ont réfuté l’idée que la guerre est inhérente à l’espèce humaine (ou plutôt aux hommes). Tout aussi infondée est l’hypothèse suivante : « Si l’homme civilisé est aussi destructeur et responsable d’autant de guerres, à quel point l’homme primitif devait-il être pire, lui qui était tellement en retard dans la marche du progrès ? » (Fromm 1974, p. 193, traduction libre)
Des femmes captives sont enchaînées et battues
(Sceau-cylindre d’Uruk, fin du 4eme millénaire, Amiet 1980, fig. 661)
Le psychologue Erich Fromm rectifie cette idée irrecevable et clarifie : la recherche sur la préhistoire a prouvé que les premiers hommes étaient moins destructeurs que leurs successeurs soi-disant plus évolués et que le « prototype d’homme que l’on trouvait il y a 50000 ans n’était pas le meurtrier que l’on retrouve ensuite dans les stades ultérieurs de l’évolution » (Fromm 1974, p. 135). Sur la base de son travail, l’archéologue Marija Gimbutas confirme : « Les affrontements belliqueux et la construction de fortifications ont fait partie de la vie de nos ancêtres à partir de l’âge de bronze. Mais pas avant, au paléolithique et au néolithique. » (1996, VIII) Elle vient ainsi contredire cette affirmation partout présente que les affrontements armés étaient déjà fréquents au néolithique et à l’époque « préhistorique ». Cette affirmation ne repose sur aucunes preuves.
L’absence de guerre n’a rien de si incroyable, contrairement à ce que théoriciens politiques de la préhistoire
de la guerre laissent entendre… Il est complètement faux d’associer ce chaos (la guerre) à un besoin naturel de l’homme. Le chaos est l’œuvre de l’homme. (Ruth Benedict)
La plupart des guerres modernes sont préparées en recourant à une propagande systématique : « Lorsqu’un gouvernement raconte au peuple qu’il est menacé, il déclenche la réaction biologique normale face à une agression (…) En se préparant à la guerre, l’Etat-agresseur oblige l’Etat qui va être agressé à s’armer lui aussi, et ce faisant, il apporte la « preuve » que la menace supposée est bien réelle. » (Fromm 1974, p.176)
Le fait que les historiens modernes ignorent toutes les preuves montre à quel point l’homme civilisé a eu besoin de supprimer tous les mauvais souvenirs afin de préserver son image d’individu raisonnable, illusion salvatrice. (Lewis Mumford)
5000 ans de cauchemar patriarcal
Les premières guerres ont été le moyen de reprendre le pouvoir aux femmes et de s’emparer des terres sur lesquelles elles avaient autorité du temps des cultures matriarcales. 3000 ans plus tard, l’Iliade du Grec Homère parle de guerre et de butin de guerre : deux femmes, la belle Hélène et la jeune Briséis.
La guerre est devenue un moyen institutionnalisé de conquérir des terres et de s’emparer du pouvoir. Elle marque le début « d’un cauchemar qui dure depuis 5000 ans et duquel il est temps de se réveiller » (James Joyce).
Les scènes de guerre qui se déroulent aujourd’hui au Darfour sont ce à quoi devaient ressembler les guerres d’alors. Dans un massacre indescriptible, des hordes de cavaliers arabes exterminent les Soudanais à la peau foncée. Dans plusieurs passages de la Bible, on retrouve des descriptions de telles invasions et de meurtres de masse. Ainsi dans le Livre des Juges, chapitre 18 :
« En ce temps-là, la tribu des Danites se cherchait un territoire pour y habiter. Les hommes de Dane envoyèrent donc de chez eux cinq hommes vaillants pour espionner le pays et pour l’explorer… Les cinq hommes s’en allèrent et arrivèrent à Laïsh. Ils virent que les gens qui y habitaient vivaient en sécurité, tranquilles et confiants, personne ne blâmant dans le pays le détenteur du pouvoir. Ils revinrent alors vers leurs frères et leur dirent : « Levons-nous ! Montons contre eux : nous avons vu leur pays. C’est un excellent pays. Et vous demeurez muets ! Mettez-vous en marche sans hésiter, pour aller conquérir ce territoire ! En arrivant, vous trouverez un peuple confiant. Le pays est étendu. Dieu l’a mis entre vos mains, ce lieu où rien ne manque de ce que l’on peut avoir sur la Terre ! »
Six cents hommes équipés d’armes de guerre partirent donc de là, du clan de Dane. Ils marchèrent contre Laïsh, contre une population tranquille et confiante. Ils la passèrent au fil de l’épée et incendièrent la ville. Personne ne vint à son aide, car elle était loin de Sidon et n’avait affaire avec personne. Ils rebâtirent la ville et s’y établirent. Ils nommèrent la ville « Dane », du nom de Dane leur père, qui était né de Jacob, mais à l’origine, le nom de cette ville était Laïsh. » (Texte biblique légèrement raccourci) À ce sujet, Lucie Stapenhorst écrit : « Je pense que ce texte biblique décrit de façon claire et concise comment le passage du matriarcat au patriarcat s’est déroulé. Une attaque de brigands et d’assassins contre un peuple inoffensif qui sera par la suite célébrée comme une conquête victorieuse menée au nom de Dieu. » Voici ce que l’on peut lire sur le traitement infligé aux habitants de la ville :
« Ils tuèrent tous les hommes, enfants et femmes à l’exception de quatre cent jeunes filles vierges. » Et dans le Livre du Deutéronome, chapitre 7 : « Quand le Seigneur ton Dieu te fera entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, il expulsera devant toi des nations nombreuses…Le Seigneur ton Dieu te les livrera et tu les battras. Alors tu les voueras à l’anathème. Tu ne concluras pas d’alliance avec elles. Tu ne leur feras pas grâce. Tu ne contracteras pas de mariage avec elles…. La colère du Seigneur s’enflammerait contre vous, et il aurait vite fait de t’exterminer. Voici ce que vous leur ferez : vous démolirez leurs autels, vous briserez leurs stèles, vous abattrez leurs poteaux sacrés et vous brûlerez leurs idoles. Ton œil sera sans pitié pour eux. Tu feras disparaître leur nom de sous les cieux : pas un ne tiendra devant toi, tu les extermineras jusqu’au dernier. »
Je n’ai pas trouvé de commentaire décrivant aussi bien l’effroi suscité par ces atrocités que celui de Lucie Stapenhorst. Elle écrit : « Ces passages de la Bible contredisent les thèses soutenant une évolution historique douce et spirituelle. Ils sont plutôt un témoignage bouleversant de l’occupation territoriale patriarcale et du sort réservé aux femmes et ils prouvent que les cultures matriarcales ont été exterminées sans pitié et que le culte des déesses a été éradiqué pour être remplacé par un Dieu patriarcal. De tels exemples sont bien trop nombreux pour que l’on puisse les qualifier de dérapages occasionnels. Ceci n’est pas un dérapage, ceci est le programme du patriarcat. » (Stapenhorst 1993, p. 92)
Dans son livre Die unheilige Schrift (L’Ecriture (pas si) Sainte), Erhard Zauner écrit : « On retrouve dans cette « Ecriture (pas si) Sainte » tous les actes les plus méprisables : guerres, meurtres, sacrifices humains, mensonges, trahisons, adultères, polygamie, incestes, misogynie, mutilations génitales, commerce d’êtres humains, esclavagisme, racisme, xénophobie, idolâtrie, vengeance, vol et génocide…Si l’on voulait aujourd’hui produire un film avec un tel contenu, l’autorité de contrôle de l’audiovisuel aurait tôt fait de l’interdire aux jeunes de moins de 16 ans. Les images susceptibles de nuire aux mineurs, sexistes, racistes et violentes feraient l’objet d’ordonnances restrictives ou seraient tout simplement retirées de la circulation pour incitation à la violence. »
Si des scènes de violences insoutenables, de jeunes filles violées par des pillards etc. ont un impact sur l’âme humaine, il ne faut pas s’étonner de l’augmentation constante de la violence et de la pédopornographie. Il ne s’agit pas comme on voudrait nous le faire croire d’un « problème sociétal global », mais bien d’un problème des hommes ! Les vidéos violentes et les films à caractère pédopornographique ne sont pas la seule explication à la brutalité des garçons et des jeunes hommes ni à leurs actes violents ; ils ont leurs exemples.
La Bible elle-même recèle de passages incitant à la violence, peut-être faudrait-il commencer par l’examiner d’un œil critique.
La question de savoir si le patriarcat ne serait pas une maladie dont souffrirait toute l’humanité n’est jamais posée. (Gerda Weiler)
Le médecin et journaliste argentin Ricardo Coler raconte dans son livre Le paradis est féminin son « fascinant voyage dans le matriarcat » des Mosos, un peuple vivant dans un territoire isolé de Chine. Mao Tse-Tung avait en son temps tenté d’exterminer la culture matriarcale de ce peuple qui « menait une vie d’amour, ignorant l’institution du mariage et n’accordant aucune valeur particulière à la figure du père ». Il avait pour ce faire eu recours à la violence politico-étatique, clanique, religieuse et matrimoniale, qui toutes incarnent l’idéologie et le système féodal patriarcal. Sans succès, car sitôt les forces militaires parties, les Mosos sont retournés à leur mode de vie matriarcal. « Les cadres politiques dirigeants ne sont tout simplement pas parvenus à faire changer la situation, bien au contraire. Beaucoup de soldats étaient attirés par les jeunes filles Mosos et ont choisi d’intégrer le matriarcat. » (Coler 2009, p. 112–116)
› Qu’y avait-il avant les pharaons –
La découverte des mères fondatrices d’Egypte ‹ 1994
Fatigué de notre monde belliqueux où règnent la terreur, la guerre et la souffrance, la plupart des individus aspire à la paix, la sécurité et la liberté. Un tel monde est-il possible, la guerre n’a-t-elle pas toujours existé ? L’archéologie de la préhistoire a pourtant prouvé que les hommes ont vécu en paix durant 98% de l’histoire de l’humanité. La guerre n’a été introduite qu’il y a 5000 ans par le patriarcat et sa soif de pouvoir.
L’ère préhistorique du matriarcat est la plupart du temps occultée, ignorée, sous-estimée, interprétée de façon partiale et presque toujours considérée comme de moindre importance. Et pourtant, cette culture préhistorique pourrait dans bien des cas nous montrer la voie vers un avenir meilleur.